Gaston Giuliani, Pierre Barbey, Karine Devineau, Marie Barthez, Pierre Bouilhol, Bruno Porcu, Pierre Baillot, Joëlle Guerrier, Michel Champenois
CRPG UMR 7358 CNRS-Université de Lorraine, 15 rue Notre-Dame-des-Pauvres, BP20, 54501 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France
Introduction
Une plaque de pegmatite originaire du Brésil a été installée le 31 mars 2022, au rez-de-chaussée du CRPG/CNRS (Voir la galerie « Installation de plaque de pegmatite» ; photos J. Guerrier).
L’acquisition et la pose de cette plaque de très grande dimension (3,28 x 1,80 m) sont le fruit de la passion et de la collaboration entre le CRPG/CNRS de Vandœuvre, le Musée Terrae Genesis avec Cyrille Delangle et Jean-Paul Grémillet à Le Syndicat et la Graniterie Cavalli à Lieuzey. Qu’ils en soient remerciés.
Galerie : Installation de la plaque de pegmatite (Photos J. Guerrier)
Cette roche, appelée Granite Patagonia par les marbriers, provient de la région de Galiléia, près de Governador Valadares, État de Minas Gérais, Brésil (Voir la galerie « Pegmatito do Brasil » ; photos : M. Barthez).
Cette région, située au nord de Rio de Janeiro, est marquée par la présence de granitoïdes appartenant à la suite magmatique Galiléia formée de tonalites, granodiorites, granites et pegmatites.
La datation de ces roches par la méthode U-Pb sur zircon a donné des âges compris entre 594 et 570 millions d’années, caractéristiques de l’orogenèse Brasiliano ou Panafricaine. Cette région est également fameuse pour ces pegmatites à gemmes.
Galerie : Pegmatito do Brasil (Photos M. Barthez)
Définition et caractéristiques générales d’une pegmatite
Une pegmatite est caractérisée par un intrusif filonien formé de cristaux automorphes de quartz, de feldspath potassique et de micas (muscovite, biotite, lépidolite, etc.). Leur taille, généralement de grande dimension, va de quelques centimètres à parfois plusieurs mètres. Il s’agit d’une roche de fin de cristallisation des magmas enrichis en éléments légers comme l’eau, le gaz carbonique, le fluor, le lithium, le bore, le chlore et le phosphore. Ces pegmatites sont la source de plus de cinquante types de gemmes ainsi que de minéraux industriels desquels sont extraits des métaux stratégiques comme le béryllium, le niobium, le tantale, le lithium, le césium et les terres rares.
Les pegmatites sont classées en quatre types en fonction de leur profondeur de mise en place, le degré de métamorphisme de leur encaissant et la composition chimique de leurs minéraux : (I) abyssales, (II) à muscovite, (III) à éléments rares et (IV) miarolitiques.
Les pegmatites de type miarolitique (c’est-à-dire avec des cavités) se sont formées à très basses températures et à une profondeur de moins de 4 km, dans le domaine de stabilité de l’andalousite. Ces pegmatites se distinguent par l’abondance de leurs cavités qui sont très souvent tapissées d’argiles et de zéolithes. Au cours de leur formation, les cavités sont le siège de la circulation de fluides silicatés et denses ou de gels dans lesquels se forment les variétés gemmes du béryl et de la tourmaline, la topaze, l’apatite, le spodumène, le grenat, etc.
La pegmatite brésilienne du CRPG/CNRS
Il s’agit d’une pegmatite de type miarolitique. La structure de la roche est litée et non concentrique.
La zonation de la pegmatite est très nette, avec un cœur de quartz gris translucide et une bordure formée de grands cristaux de feldspath potassique automorphes (Fig. 1), perthitiques (feldspath potassique contenant des films et de fines lamelles d’albite) et zonés (Fig. 2), eux-mêmes relayés par une association de feldspath et quartz en texture graphique (Fig. 3 ; interpénétration de grands cristaux de quartz et de feldspath donnant en section des plages anguleuses cunéiformes), accompagnée de biotite (parfois en lamelles disposées en feuilles de livre ouvert ; Fig. 4), tourmaline noire (variété schorlite) et béryl vert (Fig. 5).
Figures 1-5
Détermination de la composition minéralogique de la pegmatite à l’aide de la spectroscopie de réflectance dans le visible proche infrarouge (VNIR) : application à la nature du béryl vert
Le spectromètre (ASD Fieldspec 4) permet l’acquisition d’un spectre en réflectance dans le domaine du visible proche infrarouge (VNIR). Ce spectre est le spectre moyen d’une surface éclairée par une lampe, collecté à l’aide d’une fibre optique (Voir le poster de M. Barthez et al. ci-dessous, aussi téléchargeable ici).
Les spectres obtenus sont alors caractérisés par la position de leurs bandes d’absorption. Dans le domaine du VNIR, ces bandes d’absorption sont le résultat des transitions électroniques du fer ou des vibrations moléculaires.
Pour les différencier, outre leur position bien spécifique, on peut s’intéresser à la largeur de la bande : (i) bande large pour celles liées aux transitions électroniques du fer ; (ii) bande fine en forme de pic pour celles liées aux vibrations moléculaires. L’application de cette technique sur les minéraux de la pegmatite brésilienne est présentée dans le poster de Barthez et al. (Voir partie « Minéral inconnu : béryl vert »).
L’étude du minéral vert a été réalisée en comparant son spectre VNIR avec des spectres acquis sur des minéraux de la collection de référence du CRPG. Ces minéraux étaient notamment : un cristal d’aigue marine gemme, un béryl pierreux associé à un greisen (association quartz + muscovite), un béryl vert (contenant du chrome), une amazonite (microcline vert) et un quartzite vert. Cette étude a permis d’affirmer que le minéral vert était un béryl vert contenant à la fois du chrome et du fer, similaire à la composition d’une émeraude.
Poster de M. Barthez : Détermination de la composition minéralogique de la Pegmatite à l’aide de la spectroscopie de réflectance dans le visible proche infrarouge (VNIR)
Les conditions de formation de ces pegmatites miarolitiques approchées par la pétrologie expérimentale
Ces magmas de fin de cristallisation sont enrichis en éléments légers comme l’eau, le gaz carbonique, le fluor et d’autres éléments volatils qui jouent le rôle de fondants en (I) en abaissant les températures de cristallisation et la viscosité du magma et (II) en retardant la nucléation des cristaux. Les conditions de mise en place d’un tel magma entraînent un degré de surfusion important qui “stresse” le magma. Ce dernier réagit en déclenchant un taux de croissance rapide de cristaux de petite taille qui développent des textures squelettiques. La croissance rapide des cristaux squelettiques est contrôlée par le développement de couches-limites chimiques (quelques microns) à l’interface cristal-liquide magmatique. Il s’ensuit une période de “relaxation” avec le processus de murissement textural qui favorise le développement de cristaux de plus grande taille au détriment des petits cristaux et qui leur permet d’acquérir leur forme polygonale caractéristique.
Les derniers stades de cristallisation sont caractérisés par des cristaux bien développés de très grande taille de feldspaths perthitiques et de quartz à facettes et à terminaison pyramidale. Ces quartz se sont développés à partir d’une phase vapeur riche en eau et non plus à partir d’un liquide magmatique.
Ces différents mécanismes sont à l’origine de la séquence de cristallisation caractéristique d’une pegmatite miarolitique reproduite expérimentalement dans des conditions saturées en eau, à 2 kb, avec un ΔT=120°C [différence entre la température liquidus du système (ici, 720°C) et la température expérimentale choisie avec une baisse rapide (à 600°C)] et une durée d’expérience d’environ 2 mois (Fig. 6).