“Paléo-taux de dénudation en Afrique Tropicale”

Résumé :

La dénudation (érosion physique + altération chimique), contrôle avec le climat et la tectonique, l’évolution de la surface de la Terre. Ces trois processus sont liés par des boucles de rétroaction, agissant constamment les uns sur les autres. Dans le contexte du changement climatique, il est primordial de comprendre comment le climat contrôle la dénudation, d’autant qu’un débat est en cours depuis 30 ans sur l’effet du refroidissement Cénozoïque et des cycles climatiques Quaternaires sur les taux de dénudation.

Les études travaillant sur ce débat se sont concentrées sur des régions tectoniquement actives ou anciennement englacées. L’effet de la tectonique sur la dénudation complique l’étude de l’effet du climat sur la dénudation. Les glaciers, bien que contrôlés par le climat, ont un effet non linéaire sur la dénudation. En outre, la plupart des études se concentrent sur les hautes latitudes, et les zones tropicales restent peu contraintes. Dans ce travail de thèse, j’ai étudié l’effet des cycles climatiques Quaternaires sur les paléo-taux de dénudation de régions tropicales, non englacées et tectoniquement quiescentes. Pour ce faire, j’ai mesuré le 10Be in-situ dans les turbidites de carottes situées au large du Gabon et de Madagascar. Les turbidites sont des sédiments terrigènes transportés des marges continentales vers les dépocentres sous-marins. Étant des archives distales, le temps de transport entre la source et le dépôt peut être important et n’a été que rarement quantifié. Un temps de transfert de 105 à 106 a pourrait entraîner des erreurs dans les paléo-taux de dénudation mesurés et une association erronée de ces résultats à des événements climatiques connus. En datant différents matériaux d’origine marine et terrigène des carottes étudiées, j’ai pu contraindre les âges de dépôt des turbidites et quantifier les durées de transport continental, et de stockage marin. J’obtiens des âges de stockage sous-marin de 7 à 14 ka, et des durées de transport continental de 9 à 15 ka. Ces durées sont obtenues pour un bassin versant de très grande taille et de faible relief et sont donc maximales. Elles sont néanmoins inférieures à la résolution du 10Be et n’affectent donc pas les taux de dénudation mesurés.

La partie principale de ce travail montre que les paléo-taux de dénudation de l’Ogowé (Gabon) et de Madagascar n’ont pas varié de manière significative depuis le Pliocène, et les derniers 900 ka, respectivement. Ces résultats montrent l’effet limité du climat Quaternaire sur la dénudation des régions tropicales. Le climat Quaternaire ne peut donc pas être le principal, ou le seul facteur contrôlant la dénudation. D’après ce travail et les publications des deux dernières décennies, il devient clair que la dénudation ne peut pas être considérée comme un processus global et qu’elle ne peut être abordée que dans un cadre régional. Dans les tropiques, des variations plus courtes du climat, telles que les migrations de la zone de convergence intertropicale, peuvent contrôler les variations climatiques, bien que cette interprétation soit spéculative car le 10Be ne possède pas la résolution nécessaire pour étudier des variations à ces fréquences et que les données paléoclimatiques manquent dans cette région.

Je montre enfin à partir de données nouvelles et précédemment publiées que Madagascar a connu au cours du Cénozoïque un état d’équilibre topographique, avec des taux de dénudation suivant l’activité tectonique induite par le manteau.
Dans l’ensemble, ma thèse démontre que les turbidites sont des outils efficaces pour quantifier les processus continentaux, mais que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour mieux les contraindre. Le climat Quaternaire ne contrôle pas la dénudation tropicale. Les régions tropicales manquent cruellement de données, qu’elles soient géomorphologiques ou paléoclimatiques. Combler cette lacune peut s’avérer essentiel pour comprendre le système Terre.

“Paleo-denudation rates of Tropical Africa”

Abstract :

Denudation, the collective action of physical erosion and chemical weathering, controls the evolution of the Earth’s surface, together with climate and tectonics. These three processes are linked by several feedback loops, constantly acting on one another. In the context of climate change, understanding how climate affects denudation is of the upmost importance, especially since a debate has been ongoing over the past 30 years on the effect of Cenozoic cooling and Quaternary climate cycles on denudation rates. Most of the studies invested in solving this debate have concentrated on tectonically active or previously glaciated regions. The effect of tectonic activity on denudation can be difficult to quantify, and it is a complication if one wants to study the effect of climate on denudation. Glaciers, although controlled by climate, have a non-linear effect on denudation. Furthermore, most studies are concentrated in the northern hemisphere, leaving a knowledge gap in the tropical areas. In this PhD, I studied the effect of Quaternary climatic cycles on paleo-denudation rates of Tropical, unglaciated, and tectonically quiescent regions.

To do so, I measured in-situ 10Be in turbidites of cores located offshore SW Madagascar and Gabon. Turbidites are the deposits of turbidity currents, which bring terrigenous sediments from continental margins to deep sea depocenters. Because they are distal archives, the sediment transport time from continental erosion to deep sea deposition may be large and has only seldom been quantified. A large transfer time (105-106 a) could lead to discrepancies in the paleo-denudation rates we measure and to wrongful association of measured paleo-denudation rates to known climatic events. By dating different materials both marine and terrigenous in origin of the of the cores studied, I can constrain the depositional ages of turbidites and more importantly quantify continental transport and marine storage durations. I find ages of submarine storage of 7 to 14 ka, and durations of continental transport from 9 to 15 ka. I insist on the very large and low relief catchment in which these durations were obtained and conclude that these are within the resolution of 10Be, thus not affecting denudation rates measured.

In the main trunk of this work, I show that paleo denudation rates of the Ogowé catchment (Gabon), and of Madagascar have not varied significantly since Pliocene times, and the past 900 ka, respectively, and are within the range of modern denudation rates. These results highlight the limited effect of Quaternary climate over denudation in Tropical regions. I successfully show that Quaternary climate cannot be the main, or the only factor controlling denudation. From this work, and publications of the last two decades, it is becoming clear that denudation cannot be considered as a global process and can only be tackled in a regional perspective. In the tropics, shorter variations of climate such as migrations of the Inter Tropical Convergence Zone, may control climatic variations, although this interpretation is purely speculative as 10Be does not possess the resolution to investigate such high frequency variations and the appropriate paleoclimatic data are missing in this region.

Finally, I show, from new 10Be data, and a review of previously published 10Be, thermochronology and planation surface data, that Madagascar has been in a landscape steady-state over the Cenozoic, with denudation rates following mantle-driven tectonic activity.
Overall, my PhD has shown that turbidites are effective tools to quantify continental process in the past, but more efforts need to be made to constrain and understand them. Quaternary climate does not control tropical denudation, but large-wavelength mantle-related uplift may. Tropical regions crucially lack data, whether it be geomorphological or paleoclimatic. Filling this gap may be key to understand the Earth as a whole.

Membre du jury :

Directeurs de thèse

Pr. Julien Charreau – Professeur – CRPG/Université de Lorraine – Nancy
Dr. Pierre-Henri Blard – Directeur de Recherche – CRPG/CNRS – Nancy

Rapporteuses

Dr. Marina Rabineau – Directrice de Recherche – Géo-Océan/CNRS – Plouzané
Pr. Taylor Schildgen – Professeure – GFZ/University of Postdam – Postdam

Examinateurs

Dr. Delphine Rouby – Chargée de Recherche – GET/Université Toulouse 3 – Toulouse
Dr. Alexander Wittaker – Maître de conférences – Imperial College – London
Dr. Jérôme Van der Woerd – Chargé de Recherche – ITES/CNRS – Strasbourg

Invités

Dr. Sophie Hage – Docteure – GEOPS/Université Paris Saclay – Orsay
Dr. Samuel Toucane – Chargé de Recherche – Géo-Océan/CNRS – Plouzané